Publié le 31 Août 2021
André TARDIEU 1936 c’est loin…(1ère partie publiée sur le blog le 11-08-2021
André Tardieu Ernest Flammarion Éditeur
Alerte
aux Français
Peut-être dans la France de 2021 subsistent encore quelques similitudes LA CRISE DE 1936
I
La France depuis les élections d'avril 1936, est ou joyeuse ou, mécontente. Dans les deux cas, elle est inquiète.
Voici la 2ème partie de L'ALERTE AUX FRANçAIS...
Leurs divisions d'hier et d'aujourd'hui
II
VOUS N'ÊTES PAS SOUVERAINS
Ce texte date de 1936 et correspond à une
résonance contemporaine...
Par un Homme Politique Lucide (André Tardieu)
L’équivoque de la souveraineté et du suffrage universel. —
> Vous êtes, plus que de toute autre chose, certains d’être souverains.
>Vous êtes certains d’être souverains, parce que vous croyez que les lois, auxquelles vous obéissez, traduisent la volonté générale.
>Vous êtes certains d’être souverains, parce que vous possédez ce que vous appelez le suffrage universel.
>Vous êtes certains d’être souverains, parce qu’on vous a enseigné, à l’école, que vous l’êtes.
>Vous êtes certains d’être souverains, parce que, tous les dimanches, sur des tribunes départementales ou cantonales des centaines d’orateurs vous prodiguent l'hommage de cet souveraineté.
Cependant regardons les chiffres et, puisqu'il s’agit de suffrage, comptons les votes.
Les trois quarts des Français 80 sont privés du droit de vote. — Il y a 40 millions de Français. — Pour que le suffrage soit universel, il faudrait que ce suffrage fût exprimé par 40 millions de votes. Est-ce le cas ?
La France est divisée en deux parties très inégales, dont l’une a le droit de voter, tandis que l’autre ne l’a pas.
IV
VOUS N'ÊTES PAS ÉGAUX
La mystification de l'égalité. — Que dire de l'égalité, notion chère, entre toutes, aux Français, et dont le nom, comme celui de la liberté, est inscrit sur nos murs ?
Cette égalité, les Français ne la découvrent :
Ni devant les urnes ;
Ni devant la loi ;
Ni devant les emplois ;
Ni devant les tribunaux ;
Ni devant l’impôt ;
Ni devant le service militaire ;
Ni devant les chances de la vie ;
Il n’y a pas d'égalité politique. — Ce que j'ai dit plus haut du suffrage juge l'égalité politique. Toutes les lois électorales françaises jusqu’en 1848, ont lié le droit de vote au paiement d’un certain chiffre d'impôts.
Ni Pierre Corneille, ni Jean-Jacques Rousseau, n'auraient, avec les lois de la Révolution, été électeurs. Toutes les lois postérieures, en prétendant créer le suffrage universel, nous ont fait le régime actuel, où les trois quarts de la nation n'ont pas le droit de voter ; où le tiers de ceux qui ont ce droit se dispensent d’en user ; où la valeur des voix varie, suivant les lieux, de 1 à 4 ; où la moitié moins un des votants est privée de toute représentation.
L'égalité politique n’existe en France, ni quant au nombre des voix, ni quant à leur efficacité élective, ni quant à leur puissance législative.
Il n'y a pas d'égalité civile. — L'égalité civile n’existerait que si tous les citoyens pouvaient exercer semblablement tous les droits qui sont de droit commun, Ce n'est pas le cas.
Il n’y a pas d'égalité civile, quand certaines catégories de Français sont, à l'inverse du reste de la nation, privées soit du droit de s'associer, soit du droit d'enseigner, soit du droit de parler ou d'écrire, soit du droit de manifester.
Il n'y a pas d'égalité civile, si ces matières font, suivant les personnes, l’objet de règlementations, qui se meuvent, dans l’arbitraire, de cent à zéro.
Il n'y a pas d’égalité civile, quand, comme cela s'est produit en 1936, on voit dissoudre certains groupements et maintenir certains autres, suivant qu'ils déplaisent ou qu'ils plaisent aux maîtres de l'heure; quand, pour ne citer qu'un seul exemple, on voit dissoudre les Jeunesses Patriotes et maintenir les Faucons socialistes ; quand, dans la même quinzaine, la police tolère les drapeaux rouges et lacère les drapeaux tricolores.
Il n'y a pas d'égalité devant les emplois. —
L'égalité devant les emplois fut l’une des grandes promesses de la Révolution.
Ce qui n'empêche que les années révolutionnaires furent une suite d’épurations violentes et que le club des Jacobins se vantait d'avoir donné des places à plus de 9.000 des siens.
La Seconde et la Troisième République ont décimé, pour motifs politiques, la magistrature et les administrations.
M. le Général Audré disait, à la tribune, que l’avancement des officiers est dans la main des députés.
M. Émile Combes rappelait à ses Préfet l'emploi qu'ils devaient, en toute question, faire de la faveur, qui est le contraire de l'égalité.
Consultez d’ailleurs votre propre expérience et demandez-vous si les nominations, les avancements, les décorations, les subventions, et tout ce qui dépend du pouvoir central, sont à l'ordinaire, réservés au mérite ou accordés à l'intrigue.
Il n'y à pas d'égalité judiciaire. — L'égalité devrait, du moins, se trouver devant la justice. L'expérience nous enseigne qu’on ne l’y rencontre pas toujours.
Soit pendant l'affaire Dreyfus, soit dans les procès du Panama, dans les procès Rochette, Hanau, Oustric, Stavisky. On a vu la loi fléchir devant les considérations politiques.
Non seulement la loi civile, mais encore la loi pénale, ont subi de tels fléchissements.
C'est là une tradition, qui date de loin et qu’on n'a jamais dissimulée.
En 1794, le citoyen Legros, membre de la Convention, professait que, dans les balances de la justice, un Jacobin doit peser plus que dix mille Feuillants.
V
VOUS N'ÊTES NI REPRÉSENTÉS, NI PROTÉGÉS
La falsification de la représentation. — Les Chambres sont le fruit des élections. Il est donc inévitable que les traits, par quoi sont caractérisées les élections, caractérisent aussi Les Chambres.
Les élections étant falsifiées par le régime électoral, les Chambres sont nécessairement une fausse représentation du pays.
Les élections ne laissant le droit de vote qu'à 11 millions et demi de Français et 2 à 3 millions de ces Français s’abstenant de voter, c'est La minorité du pays qui est représentée dans les Chambres.
Et, à fortiori, la fraction de députés, qui forme la majorité et vote Les lois applicables à l'ensemble du pays, représente une minorité plus réduite encore que n'est le corps électoral.
En d'autres termes, les députés et, parmi les députés, les majorités parlementaires comportent, pour le pays, du fait de leur origine, deux dangers.
Le premier est que le pays ne soit pas représenté.
Le second est que le pays soit opprimé,
Les fabricants d'élections. — Si, après avoir considéré les chiffres, on considère les hommes, on discerne un autre risque d'inexacte représentation.
Le corps électoral, truqué et faussé dans son nombre et dans sa compétence, n'est même pas libre de son action ; car il est aux mains des fabricants d'élections.
Vous savez ce que sont les élections et comment elles se font.
Vous savez quel est le rôle des meneurs et des comités qui tenaient déjà une place si importante sous la Révolution française et qui dictaient alors leur volonté à ceux qu’ils appelaient « le bétail à voter ».
La France, en ce temps-là, a été menée par quelques milliers d’hommes de clubs. Ce régime, bien qu’atténué, n’a pas disparu. Il y a, comme disait M. Briand, les cadres du régime.
En France, comme en Angleterre, beaucoup des électeurs « votent comme on leur dit ». Dans une large mesure, les organisations de partis ont exproprié le peuple.
Pour cette raison, un grand nombre d'élus représentent, non pas le peuple, mais des oligarchies de politiciens groupés dans les comités électoraux ou dans les loges maçonniques.
Le règne de l'argent. — À ce vice s’en ajoute un autre, qui est la conséquence du premier. Les élections coûtant cher et les « tireurs de ficelles », comme disent les Américains, ayant besoin de couvrir leurs frais, ils se livrent au contrôle des forces d'argent.
Une commission d’enquête américaine concluait, il y une trentaine d'années, qu'il y avait 15 % des votants, qui vendaient leurs voix.
En France, les Commissions d'enquête sur les fonds électoraux n'ont jamais abouti et celle de 1924 a été brusquement clôturée par son président, M. Renaudel, le jour où l’on a demandé que l'investigation portât sur les fonds de gauche, comme sur les fonds de droite.
Il y a un dernier danger : c'est que les forces d’argent n'essaient, par leurs libéralités électorales, de prendre hypothèque sur les votes ultérieurs des élus.
Du scandale du Panama au scandale Stavisky, on trouve en abondance la preuve de telles collusions.
La Chambre ne représente pas la majorité du pays. — De ce qui précède ressort une première conséquence sur laquelle je n’insiste pas, tellement elle est évidente.
C’est que la Chambre ne représente jamais la majorité du pays, puisque, même si personne ne s’abstenait, les électeurs ne seraient par rapport à la nation, que dans la proportion de 28 à 100.
La Chambre ne représente même pas la majorité des électeurs. — Mais, et ceci est moins connu, ce n’est pas seulement la majorité du pays qui est privée de représentation parlementaire ; c’est même la majorité des électeurs.
En d’autres termes, cette toute petite fraction du pays (28 %), qu'on appelle le corps électoral, ne réussit pas à faire entrer à la Chambre sa propre majorité.
Si invraisemblable que cela paraisse, cela ressort avec évidence des statistiques officielles :
Quand M. Gambetta disait aux députés : « Le suffrage universel, c’est vous ! », il commettait donc deux inexactitudes.
Suffrages obtenus
Si la totalité des candidats qui entrent à la Chambre, ont, tous ensemble, moins de voix que les candidats battus signifie que les élus et, moins encore, la majorité des élus, ne représentent ni la totalité du peuple, ni la majorité du peuple, ni même la majorité de cette minorité du peuple, qu’on appelle les électeurs
La première était de confondre le peuple avec le suffrage universel.
La seconde était de croire que les députés représentent le suffrage universel, où même la majorité de ce qu'on appelle ainsi Les majorités, qui votent les lois, ne représentent pas 10 % de la nation. — On peut affirmer, sans risque de se tromper, que les députés, qui votent ces lois, ne représentent jamais plus de 3 ou 4 millions d'électeurs sur 40 millions de Français Il arrive souvent qu'ils ne représentent même pas cela.
Une des lois les plus importantes de notre histoire, celle de 1905 sur La séparation des Églises et de l'État, a été votée par une majorité, qui ne représentait que 2.600.000 électeurs.
C'est-à-dire que, pour le vote de cette loi capitale, il y avait 37.400.000 Français, sur 40 millions, qui n'avaient pas été représentés. El il s'agissait cependant de fixer les conditions dans lesquelles la majorité des Français pourrait pratiquer sa religion
Élections de Suffrages obtenus Suffrages
par les élus. non représentés.
1876 4.458.584 5.422.233
1877 5.058.106 5.048.551
1881 4.567.052 5.600.000
1885 4.042.964 6.000.000
1859 4.526.086 5.800.000
1893 4.513.511 5.930.000
1898 4.906.000 5.633.000
1902 5.159.000 5.818.000
1906 5.209.606 6.383.852
1910 5.061.271 6.598.288
1914 4.810.693 6.366.786
1928 4.830.000 6.000.565
1932 5.245.000 6.319.000
Ce qui revient à dire que le nombre des suffrages représentés dans les Chambres est toujours inférieur d’un million et demi environ à celui des suffrages non représentés.
Les députés n’expriment pas la souveraineté nationale. — De ces chiffres et de ces constatations, quelques conclusions se dégagent.
La puissance d’oppression de la loi est illimitée. —
Ai-je besoin d’insister sur les conséquences d'un tel régime ?
Ces conséquences sautent aux yeux.
La première, c‘est que la loi n'est pas, ainsi qu'on vous l'a enseigné à l'école et qu'on vous le répète dans les discours, l'expression de la volonté générale et qu'elle n'exprime en réalité qu'une très faible fraction, 5 à 7 %, de cette volonté.
La seconde, c'est que la majorité légale, qui fait les lois, représente la minorité réelle du pays.
La troisième, c'est que le pouvoir d'oppression de la loi est illimité.
On a pu changer les conditions de la vie religieuse en France par le vote d'une majorité, qui ne représentait que 22 %, des électeurs et de 6 %, de la nation.
On pourrait, de la même façon, supprimer la liberté, la propriété, le droit de vote, frapper de confiscation ou de mort chaque citoyen.
La loi peut tout. La loi est Dieu.
La loi est le moyen par lequel la minorité sanctifie sa volonté.
Les peuples étrangers sont protégés contre l'oppression par la loi. -Le risque d’oppression par la loi existe dans tous les régimes électifs.
Mais, dans la plupart de ces régimes, il existe aussi, sous une forme ou sous une autre, une protection et un recours contre ce risque.
En Suisse, quand le peuple, dans sa majorité, pense qu’une loi est injuste, il a le droit d'exiger qu'elle soit soumise à un vote de ratification.
Aux États-Unis, quand un citoyen se croit lésé par une loi et privé par cette loi de l’un des droits, que lui assure la Constitution, il a le droit d'attaquer la loi devant n'importe quel tribunal.
Dans l’un et l’autre de ces deux pays, si un citoyen estime qu'un fonctionnaire lui a fait tort, il peut, de la même façon et toujours devant n'importe quel tribunal, citer ce fonctionnaire.
En un mot, quand, dans ces pays, les citoyens estiment qu’une loi votée par les Chambres ou un acte accompli au nom de l’État sont contraires à leurs droits fondamentaux inscrits dans la Constitution, il leur est possible de défendre leurs droits en s'appuyant sur la Constitution.
Les Français n'ont rien de pareil.
Les Français n'ont pas de recours constitutionnel contre l'oppression par la loi. — Ces droits et ces moyens de défense individuelle, qui appartiennent aux Suisses et aux Américains, sont refusés aux Français.
Notre Constitution de 1875 ne contenant ni un paragraphe, ni une ligne, ni un mot pour définir les droits fondamentaux de la personne (sûreté, liberté, propriété, etc.), il est impossible d’invoquer la Constitution contre la loi.
La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen n’a pas cours dans les lois de la Troisième République.
Comme, d'autre part, nos juges ne sont pas un pouvoir de l’État, inscrit dans la Constitution, si l’on attaque une loi devant eux, ils répondent que cela ne les regarde pas et se déclarent incompétents.
Pour la même raison, si un citoyen français, lésé par un fonctionnaire cite ce fonctionnaire en justice, la loi envoie le plaignant devant un tribunal spécial, le Conseil d’État, lui-même composé de fonctionnaires, dont un tiers est nommé par l'arbitraire ministériel.
C’est ce qu’on appelait, sous la Restauration, le privilège des fonctionnaires.
Ce privilège était alors violemment combattu par les républicains. Mais, depuis soixante-six ans que la République existe, elle l’a soigneusement maintenu.
Les Français sont également privés de recours judiciaire. — A défaut de recours constitutionnel, soit contre les fonctionnaires, soit contre la loi elle-même, les français peuvent-ils, dans des cas limités, s’adresser aux tribunaux ? Oui.
Mais la magistrature, n'étant pas en France, je viens de le dire, un pouvoir de l'État, est un corps de fonctionnaires, pareils aux autres, nommés, promus, salariés et décorés par les Gouvernements. Son indépendance est, de ce fait, médiocre.
Il suffit de relire l’histoire des grands procès, où la justice s’est trouvée en contact avec la politique, pour constater que, lorsqu'il y a conflit entre la première et la seconde, c’est toujours la seconde qui l’emporte.
« Je viens, écrivait, pendant l'affaire Rochette, le procureur général Fabre, qui avait obéi aux ordres illégaux de MM, Caillaux et Monis, de subir la pire humiliation de ma carrière. »
Le cas est malheureusement fréquent.
Au mois de juin 1936, les magistrats ont été privés des commissions d'avancement, qui protégeaient, dans une certaine mesure, leur indépendance et placés, plus étroitement que jamais, sous l'autorité des politiciens.
Ainsi s'explique ce mot d’un Premier Président : « Mes juges sont aussi incapables de recevoir un sou d'un plaideur que de résister à un désir d’un ministre. »
Les Français ne peuvent pas davantage compter sur l'insurrection. — L’insurrection était en certains cas de violation des lois, d'après nos révolutionnaires, le plus sacré des devoirs. Mais en démocratie, un devoir dangereux à remplir.
En juin 1848, pendant la Commune et le 6 février 1934, le régime démocratique a montré comment il sait se débarrasser des mouvements populaires, qui le gênent, même quand ce sont, comme était le dernier, des mouvements désarmés.
Le roi Louis-Philippe, après son abdication, signalait, que, seuls, les gouvernements anonymes peuvent se permettre impunément de telles répressions.
Le socialiste allemand Bebel avait coutume de dire que la France démocratique est le pays qui à fait couler le plus de sang ouvrier.
VI
VOUS VIVEZ DANS LE MENSONGE
Le mensonge est partout. — J'ai dit mensonge démocratique et je répète le mot. Après m'avoir lu, prétendrez-vous que j'ai tort ?
Mensonge, s’il s’agit de l'exercice de la souveraineté populaire au moyen d’un suffrage, qu’on dit universel et qui ne l’est pas.
Mensonge, s'il s’agit de l'expression par les lois d'une volonté générale, qui ne réussit pas à intégrer à la fabrication de ces lois plus de 7 % de son total.
Mensonge, s’il s’agit de cette liberté et de cette égalité, qui, bruyamment affirmées dans les discours, subissent, à tout instant, aux dépens des individus et des collectivités, les atteintes des lois d'exception, de l'arbitraire et de la faveur.
Comme disait Proudhon à nos démagogues de 1850 : « Avec vos grands mots, vos parades révolutionnaires et tout votre tintamarre, vous n’avez été, jusqu'à présent, que des blagueurs. »
Le seul droit que possèdent les Français. — Ministres, sénateurs, députés vous assurent, chaque dimanche, que en possédez tous les droits : ce n'est pas vrai.
Mutilé dans son effectif total ; mutilé dans son effectif relatif ; mutilé dans la valeur de ses suffrages ; mutilé dans sa compétence, le peuple français, n'a ni la souveraineté, ni la liberté, ni l'égalité.
Il est perpétuellement, comme disait Veuillot, homme de droite, « je ne sais quoi par décret de je ne sais qui ».
Il est condamné, comme disait M. Clemenceau, homme de gauche « à se contenter, ainsi que les dieux d’Homère, de la fumée des sacrifices » .
Privé du droit de voter dans la proportion de plus des trois quarts ; privé du droit de ratifier sa Constitution et ses lois, le peuple français, — ou, plus exactement, moins du quart du peuple français, n’a qu'un seul droit.
Ce droit, c’est celui d’élire, tous les quatre ans, des députés ; tous les six ans, des conseillers municipaux et des conseillers généraux ; tous les neuf ans, des sénateurs, dont, dès qu’il les a élus, il devient l’esclave silencieux. C’est moins que rien.
La répudiation du régime par lui-même. — Pour que le paradoxe soit total, il arrive que le régime soi-disant représentatif, aux mains duquel le peuple abdique ainsi sa souveraineté, se démissionne lui-même.
Vous tous, pseudo-souverains, que dessaisissent vos élus, vous croyez si peu à votre souveraineté et à la leur que vous admettez que ceux-là mêmes s’en dépouillent, à qui vous avez délégué le droit de l'exercer en votre nom.
C’est le scandale final du régime parlementaire.
Vous élisez des députés et des sénateurs. Pourquoi faire ?
Pour faire les lois.
Or, vous trouvez tout naturel que, à la première difficulté, ces députés et ces sénateurs se dérobent à leur tâche ; se déclarent incapables de remplir le mandat qu’ils ont sollicité de vous et que vous leur avez confié désertant ainsi non seulement un droit, mais un devoir.
Le scandale des décrets-lois.— C’est ce que l’on appelle, en termes parlementaires, la procédure des décrets-lois.
Cette procédure a joué pendant la guerre. La guerre était une excuse.
Mais elle a joué aussi, et beaucoup plus largement pendant la paix, qui n’en était pas une.
Le droit de substituer les décrets aux lois a été accordé souvent : deux fois à M. Poincaré, une fois à M Doumergue, une fois à M. Laval.
Et M. Blum, en 1936, se l’est fait attribuer avec moins de franchise, mais avec beaucoup plus d'ampleur.
Ce désaveu du régime parlementaire par lui-même est le trait le plus récent, par quoi se caractérisent la décadence et le mensonge de nos institutions.
Un régime, qui se renie ainsi, a perdu sa raison d’être et pue la décomposition.
Il peut, comme un vieil arbre sec, rester debout quelques années. Mais il est frappé à mort.
Vous n'avez jamais voulu ce qui vous est arrivé. — Les décrets-lois sont une preuve décisive de l'inexistence de votre prétendue souveraineté et du peu de souci que vous en avez.
Mais cette preuve n’est point la seule et il y en a d’autres, non moins frappantes. Interrogez vos souvenirs et, si cela vous est possible, les souvenirs, que vos pères et vos grands-pères vous ont contés quand vous étiez petits.
Qu'est-ce donc, depuis que notre peuple passe pour souverain, qu'est-ce donc qu'il a su et qu'est-ce qu'il a voulu de ce qui lui est arrivé ?
En vérité, pas grand-chose !
Vous n'avez rien voulu de votre politique extérieure. — Regardez la politique extérieure et tournez les pages de votre histoire.
La France, qui, depuis 1848, possédait le suffrage prétendu universel, a-t-elle voulu l'expédition du Mexique ?
A-t-elle voulu les folies qui, de Sadova, l'ont conduite à Sedan ?
A-t-elle voulu les autres folies qui l’ont livrée, non préparée, à l'agression allemande de 1914 ?
A-t-elle voulu le traité de Lausanne de 1932, qui a libéré l'Allemagne de la charge de nous rembourser la reconstruction des ruines dont elle avait couvert notre sol ?
A-t-elle voulu l'accord de la même année, qui a autorisé l’Allemagne, sous le nom d'égalité des droits, à réarmer en 1935 ?
A-t-elle voulu la honteuse passivité, avec laquelle ses chefs et ses élus ont subi, en 1936, la violation des traités de Versailles et de Locarno et la remilitarisation de la Rhénanie ?
Vous n’avez rien voulu de votre politique intérieure. — Regardez la politique intérieure, dont tout le reste dépend si souvent ?
La France a-t-elle voulu d’une volonté forte la Seconde République ? Non, puisque, trois après, elle mettait l’Empire à sa place.
La France a-t-elle voulu d’une volonté forte la Troisième République ? non puisque, en février 1871, elle élisait une Chambre royaliste.
La France a-t-elle été capable de soutenir les hommes, qui avaient sa confiance ? Non.
Elle a laissé chasser M. Thiers en 1873 ; M. Gambetta, en 1881 ; . Clemenceau en 1920 ; M. Poincarré en 1928 ; M. Doumergue en 1934.
A-t-elle voulu l'étrange forme de gouvernement parlementaire, qui, en 65 ans, lui a valu plus de 100 crises ministérielles ?
A-t-elle voulu l’étatisme, qui, par l’alourdissement continu des charges publiques, a solidairement ruiné l'État et les particuliers ?
Tout cela prouve que la France n'a jamais été maîtresse de ses destinées. — Retenez ce qui précède.
Pensez au suffrage mutilé, à la liberté violée, à l'égalité mise en échec.
Pensez aux décrets-lois, par quoi vos élus s’embusquent et se mettent en sommeil.
Pensez aux innombrables événements de l'histoire française, dont, soi-disant souverains, vous n'avez rien su et rien voulu.
Pensez à tout cela et dites-vous que, si tout cela a été possible, c’est, avec des manifestations diverses, pour une seule, pour une unique raison. Cette raison, c’est que le peuple français, qui n’a jamais été souverain, l'est aujourd'hui moins que jamais et qu’il s’y résigne lâchement.
PS. De qui sont ces écrits qui suivent ? RAPPEL d'Adolf H.
Si vous désirez la sympathie des masses, vous devez leur dire
les choses les plus stupides et les plus crues.
Ibid.
Toute propagande doit être populaire et placer son niveau
spirituel dans la limite des facultés d’assimilation du plus
borné parmi ceux auxquels elle doit s'adresser. Dans ces
conditions, son niveau spirituel doit être placé d’autant plus
bas que la masse des hommes à atteindre est plus nombreuse.
La faculté d’assimilation de la grande masse n’est que très
restreinte, son entendement petit; par contre, son manque de
mémoire est grand. Donc toute propagande efficace doit se
limiter à des points fort peu nombreux et les faire valoir
à coup de formules stéréotypées aussi longtemps qu’il le faudra,
pour que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l'idée.
Ibid.
Allez à une représentation théâtrale, et regardez une pièce
à trois heures, et la même pièce, avec les mêmes acteurs, à
huit heures du soir : vous serez surpris par la différence des
effets et de l'impression...L’heure exerce une influence certaine,
et aussi le lieu. : :
Dans tous ces cas, il s’agit de l’affaiblissement du libre arbitre
de l'homme. C’est surtout le cas pour des réunions où viennent
des hommes à préjugés contraires, et qu’il s’agit de convertir.
Le matin, et encore dans la journée, les forces de la volonté des
hommes s'opposent avec la plus grande énergie aux tentatives de leur suggérer une volonté étrangère.
Mais le soir, ils succombent plus facilement à la force
dominatrice d’une volonté plus forte.
Ibid.